L'impasse collaborative. Pour une véritable économie de la coopération (Eloi Laurent)

La coopération, c’est cette puissance commune qui a permis de cartographier l’espace puis d’aller sur la Lune, de répertorier les animaux et les plantes de la planète puis de décoder le génome, ce qu’aucun génie individuel n’aurait pu accomplir. La coopération, c’est la clé de la prospérité humaine, une force collective dont l’ampleur et la profondeur nous distinguent du reste des êtres vivants.

Pour comprendre la crise actuelle de la coopération, ce livre pose de manière originale une distinction essentielle entre coopération et collaboration. La collaboration, c’est la manufacture d’épingles d’Adam Smith : une division efficace du travail qui accroît la productivité et la richesse monétaire. Mais l’obsession de cette richesse monétaire enfante une pauvreté sociale : l’approche purement utilitariste des relations sociales engendre des liens faibles et fragiles. La coopération, elle, ne se limite pas à la réalisation d’une œuvre commune : elle est une quête libre de connaissance partagée, qui organise le monde social mais permet surtout l’innovation.

Or, comme l’avance ce livre, la coopération est aujourd’hui dévorée par la collaboration, par exemple à l’école, où le culte de l’évaluation enferme les jeunes esprits dans une logique de performance qui les appauvrit ou dans le monde du travail, où le « management collaboratif » étouffe en réalité l’autonomie des salariés et accroît leur mal-être. La recherche et la science ne sont pas épargnées, de plus en plus esclaves du rendement financier et des classements en tous genres. Le risque est clair : des sociétés hyper-collaboratives où l’esprit de coopération disparaît, sont des sociétés hyperactives mais dévitalisées, nerveuses mais instables et finalement incapables d’innovation et d’adaptation.

La coopération a déjà été en crise, quand, dans les années 1950 et 1960, le « théorème d’impossibilité » de Kenneth Arrow, la « tragédie des communs » de Garett Hardin ou la « logique de l’action collective » de Mancur Olson accusaient la nature foncièrement égoïste et sécessionniste des individus de saper les biens communs. Et c’est bien une crise des institutions de la coopération que nous vivons aujourd’hui. Ce livre en dévoile trois visages : « l’épidémie de solitude » qui, plus que la montée de l’individualisme, isole les personnes ; le sabotage social des passagers clandestins – multinationales, top 1% les plus fortunés – qui contournent et ridiculisent les règles fiscales et le droit social et découragent la coopération ; enfin le brouillage des horizons, qui rend incertain l’avenir de la coopération sous la pression conjuguée d’une transition numérique de plus en plus court-termiste et de crises écologiques qu’on laisse s’aggraver.

C’est pourquoi ce livre propose trois chemins pour reconstruire la coopération : dépasser les « mythologies économiques » pour retrouver la bienveillance de l’économie civile et l’interdisciplinarité de l’économie écologique ; restaurer la puissance coopérative des systèmes sociaux et fiscaux, et enfin décélérer la transition numérique pour accélérer la transition écologique.

Éloi Laurent est économiste, membre de l’OFCE, professeur à Sciences Po-Paris, à la Stanford University ainsi qu’à Harvard. Il a notamment publié Le bel avenir de l’État Providence et les succès de librairies Nos mythologies économiques et Nouvelles mythologies économiques également disponibles sur notre Boutique.

Editions Les Liens qui Libèrent 2018. 180 pages.