Contre-histoire des Etats-Unis (Roxanne Dunbar-Ortiz)

Contre-histoire des Etats-Unis (Roxanne Dunbar-Ortiz)

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Avec cette Contre-histoire, Roxanne Dunbar-Ortiz cherche à défaire l’écheveau complexe de récits, d’interprétations et d’inconscient politique qui forge l’histoire américaine dans son ensemble, et à faire le portrait des résistances indiennes à l’entreprise d’éradication menée par les autorités états-uniennes.

 

Le titre original de ce livre, A People’s History of the United States, fait référence à l’ouvrage de Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, dont le succès au début des années 1980 marqua l’avènement, au-delà des cercles universitaires, de l’histoire par le bas, ou histoire des victimes. Roxanne Dunbar-Ortiz, elle-même d’origine indienne, née dans une famille de métayers de l’Oklahoma, a participé au mouvement des droits civiques et au mouvement indien Red Power pendant les années 1960 et 1970. Elle a engagé un dialogue avec Howard Zinn, dont le livre, malgré sa mise en avant des femmes, des classes populaires et des minorités, demeurait selon elle prisonnier des mythes coloniaux forgés au cours de l’histoire états-unienne, qui ont abouti au quasi-­effacement des peuples indigènes du territoire comme de la mémoire du pays.

Traditionnellement, les citoyens des nations indigènes apparaissent par « épisodes » dans cette histoire : la conquête coloniale du 17ème  siècle, les « guerres indiennes » du 19ème  siècle, l’Indian New Deal de Roosevelt dans les années 1930, le mouvement des droits civiques dans les années 1960-1970. L’auteure efface cette périodisation en les plaçant au cœur de l’histoire d’une nation qui s’est construite sur leur destruction. La perspective s’en trouve profondément transformée, comme dans le récit qui est fait de la guerre de Sécession : Roxanne Dunbar-Ortiz raconte la manière dont cette guerre fut l’occasion de collaborations entre Indiens et Noirs dans l’Oklahoma ou le Kansas, mais également comment elle permit le recrutement dans l’armée de l’Union de colons volontaires des territoires de l’Ouest, qui s’attaquèrent, plutôt qu’aux confédérés peu présents dans ces contrées, aux peuples indigènes pour pouvoir s’approprier leurs terres. Les généraux qui conduisaient l’armée de l’Ouest furent ensuite des figures importantes des « guerres indiennes » de la seconde moitié du siècle (William Tecumseh Sherman, Philip Sheridan ou George Armstrong Custer).

La réécriture de l’histoire s’accompagne dans le livre de la déconstruction systématique des mythes nationaux que sont la «frontière», l’esprit pionnier ou la destinée manifeste, incarnés par Daniel Boone ou son pendant fictionnel, le personnage de Bas-de-Cuir dans la série de romans publiés par James Fenimore Cooper dans les années 1820 (notamment le Dernier des Mohicans), qui célèbre «la race américaine, un peuple nouveau né de la fusion du meilleur des deux mondes, indigène et européen», mais marque en réalité la dissolution de l’Indien. À ces mythes, Roxanne Dunbar-Ortiz oppose la volonté génocidaire des premiers colons envers les peuples indigènes, reprise par les dirigeants de la nouvelle nation états-unienne à partir de l’indépendance. La question de l’application du terme de «génocide» aux Indiens d’Amérique a fait l’objet de nombreux débats historiographiques et philosophiques aux États-Unis : pour l’auteure, l’intentionnalité de la destruction des peuples indigènes (par la guerre, la terreur, la destruction des moyens de subsistance, l’assimilation forcée) ne fait guère de doute, elle est même ce sur quoi se fonde la nouvelle nation. Car le troisième postulat du livre, et celui qui conduit Roxanne Dunbar-Ortiz jusqu’à la période contemporaine, est que l’impérialisme américain, jusque dans les récentes guerres en Irak ou en Afghanistan, trouve sa source dans le colonialisme et l’extermination des Indiens. Elle explique de manière frappante la façon dont l’armée américaine a développé des tactiques de guerre irrégulière face aux populations indigènes, centrées notamment sur les violences envers les civils, ainsi que le degré auquel ces méthodes développées dès la période coloniale continuent d’influencer les pratiques militaires contemporaines. Les armes américaines portent souvent le nom de tribus indiennes, le nom de code d’Oussama Ben Laden lors de l’opération du 2 mai 2011 était Geronimo et les militaires utilisent encore l’expression « pays indien » pour désigner le territoire ennemi. Comme l’écrit l’historien John Grenier, «au-delà de son utilité militaire, les Américains se sont aussi servis de leur premier art de la guerre pour construire une “identité américaine”».

L’histoire des populations indigènes américaines se fait maintenant depuis plus de quarante ans ; en 1970 paraissait le livre de Dee Brown, Enterre mon cœur à Wounded KneeUne histoire indienne de l’Ouest américain, dans lequel l’historien invitait ses lecteurs à regarder l’histoire de l’Ouest américain… depuis l’Est, soit depuis la perspective des Indiens. Pourtant, malgré la richesse de l’historiographie, le développement des études indiennes et indigènes aux États-Unis et ailleurs, les mythes de la frontière, de l’exceptionnalisme américain, restent tenaces, dans le discours politique ou dans les représentations collectives. L’ouvrage de Roxanne Dunbar-Ortiz est une nouvelle occasion de changer de regard : les États-Unis se sont construits comme le lieu de la première décolonisation et, bien souvent, ce mythe de la fondation fait écran à l’entreprise coloniale menée par ces « décolonisés ».

Alice Béja (Esprit-Presse)

ROXANNE DUNBAR-ORTIZ est une historienne et militante née en 1939. Docteur en histoire (UCLA, 1974), elle est également diplômée en droit international et droits de l'homme de l'IDH de Strasbourg (1983). Militante de la cause amérindienne depuis 1967, cofondatrice du Mouvement de libération des femmes aux Etats-Unis en 1968, elle a aussi vécu en Europe, au Mexique et à Cuba. Elle est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages. PASCAL MENORET, anthropologue et historien, professeur à Brandeis (Massachusetts), est notamment l'auteur de Royaume d'asphalte. Jeunesse saoudienne en révolte (La Découverte & Wildproject, 2016).

Editions Wildproject 2018, 322 pages.

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